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Democratic propaganda :D

Un peu de gauchisme

Je cherchais des chiffres sur l’endettement, et je suis tombé sur ce site.

Clairement, le site est positionné politiquement, donc a prendre avec un grain de sel. Mais les chiffres sont là, et intéressants.

Je sais que j’ai déjà pas mal parlé de Julien Freund, ou plutôt que je vous ai retranscrit pas mal de passages de son livre l‘Essence du politique, mais ce bouquin est réellement passionnant et je ne peux m’empêcher de vous en livrer quelques nouveaux extraits pleins de sens. Dommage que Julien Freund n’ait pas porté une cape et un masque, le statut de superhéros lui irait à ravir.

Comme ça va faire beaucoup de texte d’un seul coup  je vais aérer mon post par des images en rapport avec le sujet. Dont acte.

– En fait c’était juste pour savoir qui prendra de la salade en entrée. Levez la main, merci.

Une définition canonique de la politique : La politique est l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière en garantissant l’ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts.

Freund insiste tout particulièrement sur la nécessité de bien distinguer la politique et la morale. D’abord, explique-t-il, parce que la première répond à une nécessité de la vie sociale alors que la seconde est de l’ordre du for intérieur privé (Aristote distinguait déjà vertu morale et vertu civique, l’homme de bien et le bon citoyen), ensuite parce que l’homme moralement bon n’est pas forcément politiquement compétent, enfin parce que la politique ne se fait pas avec de bonnes intentions morales, mais en sachant ne pas faire de choix politiquement malheureux. Agir moralement n’est pas la même chose qu’agir politiquement.

(Passages tirés du PDF Julien Freund et l’impolitique, d’Alain de Benoist. Ceux qui sont intéressés peuvent également consulter Julien Freund, penseur machiavélien, par Sébastien de La Touanne.)

– N’insistez pas. Je vous avais prévenu que je ne ferais mon imitation de Babar qu’une seule fois.

« Le rôle du pouvoir n’est pas de nous rendre heureux, mais d’assurer la sécurité de tous et de chacun, pour laisser à chaque individu le soin de choisir son propre style de bonheur. »

« La morale ne peut tenir lieu de politique parce qu’elle verse trop facilement dans l’idéologie et justifie ainsi de manière infâme les tueries en faisant de l’ennemi politique l’image du mal qu’il faut exterminer. »

« Dès que l’insoumission se traduit par un appel à l’opinion et devient incitation à la désobéissance, elle utilise la morale, sous le couvert de faire obstacle à l’injustice, comme un moyen politique. Cela explique par contre-coup l’attitude par exemple de tous ceux qui refusent de signer les manifestes même si leur teneur est purement humanitaire et comme telle ne soulève aucune objection, parce qu’ils se posent la question : à quel usage politique les promoteurs de ce texte le destinent-ils ? »

– Je vous ai construit ! Non attendez c’est pas ça. Je vous ai contrit ! Hmm non. Je vous ai mépris ? Ah et puis merde. Je dissous l’Assemblée ! Voilà. Des questions ?

« L’esprit seul est vraiment créateur, la force n’est qu’une puissance de rassemblement. En effet, par nature la pensée est hérétique, et de ce fait elle ne s’accorde point des unions et des compromis nécessaires à l’action politique. L’esprit est critique, ce qui veut dire qu’il vit de doutes, de contradictions, qu’il cherche des preuves, progresse par démonstrations, éclaire, essaye de comprendre, d’expliquer et de convaincre ;  il est ‘anti-social’. La force au contraire affirme, domine, quête l’approbation et les applaudissements, utilise l’argument pour persuader et non pour instruire : elle fait croire. L’esprit joue avec le temps, construit des hypothèses, les abandonne, les reprend : il sait attendre. La force par contre est plongée dans le présent, elle est soumise à la loi de l’urgence et aux priorités.

La politique est directement en contact avec l’existence, elle défend des positions et particularise les problèmes ; l’esprit raisonne et rêve, il cherche les causes et propose des fins. La politique a besoin d’une seule idée mais capable d’orienter l’action ; l’esprit se divise en idées multiples et attaque aussitôt ce qu’il vient d’assurer. »

– Puisque je vous répète que je ne suis PAS Julio Iglesias !

« Dès que le sentiment d’une culpabilité métaphysique se glisse dans le pouvoir et dans les couches qui le soutiennent, la collectivité toute entière est troublée et déchirée, tant parce que le pouvoir devient alors hésitant, maladroit et capricieux que parce que les formes propres au régime ainsi que l’ordre et l’esprit qui lui sont particuliers passent pour radicalement injustes. Ce genre de culpabilité a en général pour base une philosophie universaliste et humanitaire, négatrice du particularisme politique, sous prétexte que celui-ci serait éthiquement et rationnellement mauvais. On ne peut plus dominer lorsqu’on suspecte toute manifestation de puissance d’être une faute. »

– Monsieur le Premier Ministre, qu’entendez-vous exactement par « guerre thermonucléaire totale » ?

« Qu’on le veuille ou non il existe des inégalités inéluctables non seulement entre les civilisations successives mais aussi entre les contemporaines, ne serait-ce que parce que chacune d’elles a un autre passé historique et qu’elles reposent originairement sur des conceptions différentes du monde. Il est donc tout aussi extravagant de mépriser d’autres civilisations au nom des succès spectaculaires de l’une d’entre elles (rien ne nous permet de juger qu’une civilisation technicienne est absolument et intrinsèquement supérieure à celle qui donne le primat à la contemplation) que de mettre au compte des fautes d’une civilisation plus évoluée les retards des autres. »

– Votre question : « est-ce que ça baise à la mairie ? » me paraît très intéressante mais nous n’avons malheureusement plus le temps pour nous pencher sur ce sujet.

Et pour conclure trois citations de Julien Freund au réveil :

« La société actuelle est devenue tellement molle qu’elle n’est même plus capable de faire la politique du pire. Tout ce qu’elle me paraît encore de taille à faire, c’est de se laisser porter par le courant. Une civilisation décadente n’a plus d’autre projet que celui de se conserver. »

« Il n’y a pas d’idée tolérante. Il n’y a que des comportements tolérants. Toute idée porte en elle l’exclusivisme. »

« L’avenir, c’est le massacre ! »

– … et c’est pourquoi j’ai décidé d’interdire la tecktonik.

L’Essence du politique

Je suis plongé dans l’Essence du politique de Julien Freund et c’est très très intéressant et pointu (au sens que ça touche extrêmement juste et là où ça fait mal). J’avais un peu d’appréhension en commençant le bouquin, le craignant trop ardu et spécialisé, mais il est en fait très accessible, la pensée de Freund étant toujours précise et clairement exprimée. Je n’ai par contre pas le niveau pour effectuer une analyse critique de la thèse – d’ailleurs la plupart du temps je me laisse porter par les idées de Freund sans pouvoir y opposer de raison critique, mais le propos reste passionnant autant que pertinent. De plus je n’ai encore lu que 150 pages d’un bouquin qui en fait plus de 700. Ainsi je vous propose quelques passages choisis pour leur pertinence et leur actualité.

« Nous étudierons la politique pour ce qu’elle est, basé sur l’histoire et l’expérience, et non pour ce qu’elle devrait supposément être. »

« Un être sans société n’est pas un homme, mais soit un être inférieur, un animal, soit un être supérieur, un dieu. »

« Une société qui n’a plus conscience de défendre un bien commun qui lui est particulier, c’est-à-dire toute société qui renonce à son originalité, perd du même coup toute cohésion interne, se disperse lentement et se trouve condamnée à plus ou moins brève échéance à subir la loi extérieure. »

À propos de la 3ème partie du Gorgias de Platon :

« Calliclès s’en prend à l’éducation qui s’empare des lionceaux pour leur enseigner à force d’incantations le respect de l’égalité et de la justice que, plus tard, devenus adultes, ils fouleront aux pieds. Au stade de l’enfance, cette éducation est utile, mais il est ridicule de la prolonger jusqu’à l’âge mûr lorsque l’homme se trouvera confronté avec les réalités de la vie. Ce que veut dire Calliclès, c’est que la politique se différencie de la philosophie par le fait qu’elle obéit à la loi du commandement et de l’obéissance et non pas à celle du maître et du disciple. Autrement dit, la politique est un problème d’adultes. Elle ne joue pas au niveau de l’enfance et de la pédagogie, car le maître impose son autorité par sa supériorité de connaissances que l’enfant ne discute pas. Ce dernier croit, comme on le lui enseigne, à l’existence d’un monde humain dans lequel règnerait la justice, l’égalité, la vérité, l’honnêteté, la récompense des bons, etc…. On apprend à l’enfant à aimer le vrai, le bien, le beau et à détester le faux, le mal et la laideur. Parvenu à l’âge adulte, l’être humain constate que la réalité est très différente de celle de la pédagogie. Il n’est pas vrai qu’il suffit d’avoir raison, il n’est pas vrai que la vertu est toujours récompensée, que le bien triomphe du mal, que l’égalité est la loi de la société, que commettre l’injustice entraîne le châtiment, que l’intelligent réussit mieux que le cancre, que le génie est reconnu par ses contemporains, etc… On voit au contraire que le plus puissant triomphe et qu’il y a partout lutte, rivalité et combat, chacun déclarant qu’il veut faire triompher une juste cause. La loi du monde des adultes est celle de la plus grande puissance, non celle de la vérité, du bien ou de la beauté ou plutôt : il arrive souvent qu’on veuille la vérité pour la puissance qu’elle confère. »

« Ce n’est pas parce qu’une chose est Vraie qu’elle est Belle, ou Bien. Et inversement. »

« Dès qu’une collectivité politique en arrive à sentir ses limites, à se persuader que son activité a désormais des frontières, bref dès qu’elle ne songe plus qu’à se défendre, sa puissance (au sens de potentiel d’action) est sapée. L’idée d’espace vital et de conquête ne sont que des aspects de la puissance, car le champ des possibilités pour une collectivité ne se réduit heureusement pas à ces phénomènes de violence. Ces possibilités peuvent être de tout ordre : idéologique, religieux, social, culturel, etc… Si jamais l’idée démocratique cessait d’être expansive et offensive, si jamais les démocrates renonçaient à persuader leurs adversaires ou les indifférents des avantages et de la beauté de la démocratie, ce régime serait bien vite voué à l’anéantissement par impuissance. Un citoyen peut se contenter d’être un démocrate, sans faire de zèle, mais un régime démocratique qui se garderait de toute activité militante et qui cesserait de croire à la possibilité de propager, d’étendre son principe, périrait de lui-même. »

« La puissance diffère de la violence par l’absence de moyens, ce qui n’exclut pas que, le cas échéant, elle les utilise aussi. Toutefois, elle trouve en elle-même les ressources de sa domination, tandis que la violence les emprunte au nombre, c’est-à-dire à la foule, ou bien aux instruments habituels de l’homicide, de la torture ou encore aux lois de répression instituant la terreur. Encore que la violence passe souvent pour une manifestation de puissance – il faudrait plutôt dire que la puissance qui ne se contrôle plus verse facilement dans la violence, de même que celle qui est en train de chanceler – il n’y a cependant pas de dépendance entre elles. Il n’est pas besoin d’être violent pour manifester de la puissance, d’autant plus que la violence est souvent une manière de compenser l’impuissance. En tout cas, la violence ne saurait remplacer la puissance, sinon illusoirement et éphémèrement. »

« La multitude n’est qu’un rassemblement sur un territoire donné, sans autre rapport que géographique, tandis que le peuple forme la véritable unité politique grâce à l’union des membres de la collectivité et le commandement. Il en résulte que tout affaiblissement ou déclin du commandement prive la collectivité de la puissance, garante de la protection, mais en plus précipite le peuple dans la déchéance de la multitude. Pour parler le langage de Hobbes, la collectivité retombe de l’état civil à l’état de nature. Ce état de nature est au fond la guerre civile. Dès que la puissance cesse d’assurer la protection, l’obéissance cesse elle aussi. »

Julien Freund, ce Machiavel moderne, analyse également en profondeur la dialectique ami/ennemi (j’en suis encore loin mais en gros et si j’ai bien compris : on choisit ses amis mais c’est l’ennemi qui nous choisit – d’où l’absurdité du pacifisme inconditionnel) et nous offre en prime une croustillante réfutation du marxisme, en 10 pages et dès le premier chapitre : « le marxisme est simplement une philosophie qui prend pour base l’économique comme d’autres se donnent pour fondement la conscience, la raison, la sensation ou la durée. »

À lire d’urgence.

#Réflexion flash en réaction au post d’esm sur la politique française#

esm : « Ne parlons même pas des partis extrémistes tant à gauche qu’à droite. L’extrémisme n’est jamais rationnel. »

Le fond du problème c’est que ces partis des extrêmes, s’ils ont effectivement des propositions et des réponses irrationnelles et aberrantes (que ce soit à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite) sont aujourd’hui les seuls à encore poser des questions. À faire de la Politique, en somme (et pas de la publicité/communication).

Malgré cela, une majorité de Français refuse encore tout net de parler de/à ces partis. Médiatiquement et socialement parlant, on leur refuse toute légitimité. D’où le blocage complet de la politique en France.

Politique

Le Monde demande à ces lecteurs abstentionnistes leurs raisons. Ci-dessous ma réponse.

Vers qui se tourner? Je n’en ai aucune idée et cela explique mon abstention.

Vers une gauche en décalage totale avec les réalités économiques de ce monde, responsable des aberrations comme le concept de l’économie de loisir ou les 35heures?

Vers une droite qui cache plus ou moins subtilement dans ces rangs des ultra-libéraux ayant comme seuls buts la destruction progressive du système sociale français et la défense des leurs intérêts propres et non ceux de la France?

Vers un parti en marge comme les Verts qui ne nous rassurent pas sur leur capacité à apporter du changement?

Ne parlons même pas des partis extrémistes tant à gauche qu’à droite. L’extrémisme n’est jamais rationnel.

Je retournerai aux urnes lorsque nous verrons un parti orienté solution, qui saura proposer du concret correctement expliqué aux masses dont je fais parti, et qui saura mener à bien l’ensemble des changements dont la France a tant besoin et garder les intérêt du pays sur le devant de la scène.

Salut Juju !

Pierre-André Taguieff dans son ouvrage sur Julien Freund – Julien Freund, au cœur du politique – relate un dialogue savoureux entre le philosophe Jean Hyppolite et Julien Freund lors de la soutenance de thèse de ce dernier, en 1965 à la Sorbonne.

Des années plus tôt, Hyppolite, penseur marxiste convaincu, avait révoqué Freund en des termes pour le moins expéditifs après avoir obtenu de lui les cent premières pages de sa thèse devenue célèbre, L’Essence du politique :

« Je suis socialiste et pacifiste. Je ne puis diriger en Sorbonne une thèse dans laquelle on déclare : Il n’y a de politique que là où il y a un ennemi.»

Freund déçu s’était alors tourné vers Raymond Aron qui accepta de prendre la relève.

Le jour de la soutenance, Hyppolite attaqua sévèrement :

«Sur la question de la catégorie de l’ami-ennemi, si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin.»

Freund répliqua :

«Écoutez, Monsieur Hyppolite, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. « Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas », raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin.»

Hyppolite répondit :

«Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à me suicider.»

Taguieff cite ensuite le commentaire critique fait par Raymond Aron à propos de Hyppolite et rapporté par Freund :

«Votre position est dramatique et typique de nombreux professeurs. Vous préférez vous anéantir plutôt que de reconnaître que la politique réelle obéit à des règles qui ne correspondent pas à vos normes idéales.»

Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre

« Lorsque je songe aux petites passions des hommes de nos jours, à la mollesse de leurs mœurs, à l’étendue de leurs lumières, à la pureté de leur religion, à la douceur de leur morale, à leurs habitudes laborieuses et rangées, à la retenue qu’ils conservent presque tous dans le vice comme dans la vertu, je ne crains pas qu’ils rencontrent dans leurs chefs des tyrans, mais plutôt des tuteurs. Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tacher de la définir, puisque je ne peux la nommer.

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-la s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu a peu chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.

Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.

J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple.

Nos contemporains sont incessamment travaillés par deux passions ennemies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’envie de rester libres. Ne pouvant détruire ni l’un ni l’autre de ces instincts contraires, ils s’efforcent de les satisfaire à la fois tous les deux. Ils imaginent un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, mais élu par les citoyens. Ils combinent la centralisation et la souveraineté du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en songeant qu’ils ont eux mêmes choisi leurs tuteurs. Chaque individu souffre qu’on l’attache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne.

Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent.

II y a, de nos jours, beaucoup de gens qui s’accommodent très aisément de cette espèce de compromis entre le despotisme administratif et la souveraineté du peuple, et qui pensent avoir assez garanti la liberté des individus, quand c’est au pouvoir national qu’ils la livrent. Cela ne me suffit point. La nature du maître m’importe bien moins que l’obéissance.

Je ne nierai pas cependant qu’une constitution semblable ne soit infiniment préférable à celle qui, après avoir concentré tous les pouvoirs, les déposerait dans les mains d’un homme ou d’un corps irresponsable. De toutes les différentes formes que le despotisme démocratique pourrait prendre, celle-ci serait assurément la pire.

Lorsque le souverain est électif ou surveillé de près par une législature réellement élective et indépendante, l’oppression qu’il fait subir aux individus est quelquefois plus grande ; mais elle est toujours moins dégradante parce que chaque citoyen, alors qu’on le gêne et qu’on le réduit à l’impuissance, peut encore se figurer qu’en obéissant il ne se soumet qu’à lui-même, et que c’est à l’une de ses volontés qu’il sacrifie toutes les autres.

Je comprends également que, quand le souverain représente la nation et dépend d’elle, les forces et les droits qu’on enlève à chaque citoyen ne servent pas seulement au chef de l’État, mais profitent à l’État lui même, et que les particuliers retirent quelque fruit du sacrifice qu’ils ont fait au public de leur indépendance.

Créer une représentation nationale dans un pays très centralisé, c’est donc diminuer le mal que l’extrême centralisation peut produire, mais ce n’est pas le détruire.

Je vois bien que, de cette manière, on conserve l’intervention individuelle dans les plus importantes affaires ; mais on ne la supprime pas moins dans les petites et les particulières. L’on oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes. Je serais, pour ma part, porté à croire la liberté moins nécessaire dans les grandes choses que dans les moindres, si je pensais qu’on put jamais être assuré de l’une sans posséder l’autre.

La sujétion dans les petites affaires se manifeste tous les jours et se fait sentir indistinctement à tous les citoyens. Elle ne les désespère point ; mais elle les contrarie sans cesse et elle les porte à renoncer à l’usage de leur volonté. Elle éteint peu à peu leur esprit et énerve leur âme, tandis que l’obéissance, qui n’est due que dans un petit nombre de circonstances très graves, mais très rares, ne montre la servitude que de loin en loin et ne la fait peser que sur certains hommes. En vain chargerez-vous ces mêmes citoyens, que vous avez rendus si dépendants du pouvoir central, de choisir de temps à autre les représentants de ce pouvoir ; cet usage si important, mais si court et si rare, de leur libre arbitre, n’empêchera pas qu’ils ne perdent peu à peu la faculté de penser, de sentir et d’agir par eux-mêmes, et qu’ils ne tombent ainsi graduellement au-dessous du niveau de l’humanité.

J’ajoute qu’ils deviendront bientôt incapables d’exercer le grand et unique privilège qui leur reste. Les peuples démocratiques qui ont introduit la liberté dans la sphère politique, en même temps qu’ils accroissaient le despotisme dans la sphère administrative, ont été conduits à des singularités bien étranges. Faut-il mener les petites affaires où le simple bon sens peut suffire, ils estiment que les citoyens en sont incapables ; s’agit-il du gouvernement de tout l’État, ils confient à ces citoyens d’immenses prérogatives ; ils en font alternativement les jouets du souverain et ses maîtres, plus que des rois et moins que des hommes. Après avoir épuisé tous les différents systèmes d’élection, sans en trouver un qui leur convienne, ils s’étonnent et cherchent encore ; comme si le mal qu’ils remarquent ne tenait pas à la constitution du pays bien plus qu’à celle du corps électoral.

Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à l’habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire ; et l’on ne fera point croire qu’un gouvernement libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir des suffrages d’un peuple de serviteurs.

Une constitution qui serait républicaine par la tête, et ultra-monarchique dans toutes les autres parties, m’a toujours semblé un monstre éphémère. Les vices des gouvernants et l’imbécillité des gouvernés ne tarderaient pas à en amener la ruine ; et le peuple, fatigué de ses représentants et de lui-même, créerait des institutions plus libres, ou retournerait bientôt s’étendre aux pieds d’un seul maître. »

Alexis de Tocqueville – De la Démocratie en Amérique, volume 2 (1840)

Reflexion flash

Sans accent pour cause de qwerty.

En France, il n’y a pas de clivage politique, uniquement un clivage sociale.

La gauche et l’extreme gauche se battent pour leurs interets, les interets de la classe moyenne et populaire.

La droite, notamment les liberaux et ultra liberaux, se battent pour la defense des interets des milieux aises, industriels, entrepreuneriaux…

Des ultra liberaux sortis de milieux modeste et n’ayant pas ete elever dans la soie et par l’elite, il me semble que cela ne cours pas les rues.

Qui se bat pour l’interet du pays et l’interet general?

J en ai marre de ne pas trouver en France le moindre debat poser sur des bases concretes et ou reigne le pragmatisme.
Des sujets interessants seraient:
– le systeme sociale et son avenir (secu, chomage, retraite…)
Pour la gauche il faut rien changer, pour la droite il est vouer a sa perte. Ces deux positions sont totalements connes cest dingue.
– les 35heures
– l education publique
– les impots des menages, des entreprises, sur la fortune…
– la taxe carbonne tiens…
– les benefices des banques…

Fuck la connerie humaine quoi. La connerie cest quand lemotionnel et/ou des convictions politiques creers par des annees dautopropagande et des generations dappartenannce a un courrant politique entravent les discussions concrete et rationel.

La gestion de la politique en France ce me donne envie de gerber.

Ici Londres, les Français parlent aux Fvdfzsrsazxzzxcvbnmadgfhjjkqwrtyuuuiop

Précoce, le gamin. Âgé de trois ans à peine, le fils de Gordon Brown commence déjà à Twitter sur le compte de sa mère, Sarah Brown, qui enregistre plus d’un million d’abonnés. « Fvdfzsrsazxzzxcvbnmadgfhjjkqwrtyuuuiop », c’est le message sybillin qu’ont pu lire les fidèles du blog et je ne doute pas que les controverses les plus variées aient ensuite alimenté les soirées des clubs les plus selects de la capitale.

Dailleurs le service de presse de Downing Street a été inondé d’appels de journalistes demandant si les bureaux du premier ministre n’avaient pas été piratés, tout en évoquant des théories de complots.

Après des jours de mystère, Gordon Brown a finalement reconnu l’incident mardi: « La semaine dernière, les personnes qui suivent mon épouse Sarah sur Twitter ont reçu un message incompréhensible que mon fils cadet avait tapé sur le clavier de notre ordinateur, pressant +enter+ tandis que ma femme n’était pas dans la pièce ». « Bien entendu, c’était une erreur de ne pas surveiller l’internet », a-t-il admis. Ouhlala oui, c’est pas bien ça, espèce de père irresponsable.

Sarah Brown a quant à elle assuré, toujours sur Twitter mais dans un message cette fois-ci authentique : « A l’avenir, j’éteindrai mon ordinateur quand je ne l’utilise pas ».

C’est mignon tout ces politiques qui ne pensent plus qu’à leur image et se sentent obligés de s’excuser pour tout et n’importe quoi alors qu’ils auraient simplement pu prendre le truc à la rigolade et pratiquer un peu de dérision. L’humour British n’est plus ce qu’il était.

Julien Freund était un philosophe, un politologue et un sociologue français, ancien résistant, né en 1921 et mort en 1993. Ses conversations avec Pierre Bérard, que ce dernier a retranscrit, sont de haute volée. Je vous ai sélectionné plusieurs extraits plutôt longs mais de qualité.

Je suis frappé par le caractère routinier du débat européen. L’Europe se construit d’une manière fonctionnaliste, par une suite d’enchaînements automatiques. Son fétichisme institutionnel permet de dissimuler notre maladie qui est l’absence d’objectifs affichés. Nous sommes par exemple impuissants à nous situer par rapport au monde. Etrange narcissisme ; on se congratule d’exister, mais on ne sait ni se définir, ni se circonscrire. L’Europe est-elle reliée à un héritage spécifique ou bien se conçoit-elle comme une pure idéalité universelle, un marchepied vers l’Etat mondial ? L’énigme demeure avec un penchant de plus en plus affirmé pour la seconde solution qui équivaudrait à une dissolution. Ce processus se nourrit par ailleurs, c’est transparent chez les Allemands, d’une propension à fuir le passé national et se racheter dans un sujet politique plus digne d’estime, une politie immaculée, sans contact avec les souillures de l’histoire. Cette quête de l’innocence, cet idéalisme pénitentiel qui caractérisent notre époque se renforcent au rythme que lui imposent les progrès de cette mémoire négative toute chargée des fautes du passé national. On veut lustrer une Europe nouvelle par les vertus de l’amnésie. Par le baptême du droit on veut faire un nouveau sujet. Mais ce sujet off-shore n’est ni historique, ni politique. Autant dire qu’il n’est rien d’autre qu’une dangereuse illusion. En soldant son passé, l’Europe s’adosse bien davantage à des négations qu’à des fondations. Conçue sur cette base, l’Europe ne peut avoir ni objectif, ni ambition et surtout elle ne peut plus rallier que des consentements velléitaires.

Et puis, c’est une Europe de la sempiternelle discussion … et toujours sur des bases économiques et juridiques, comme si l’économie et le droit pouvaient être fondateurs. Vous savez l’importance que j’accorde à la décision, or l’Europe est dirigée par une classe discutante qui sacrifie le destin à la procédure dans un interminable bavardage qui ne parvient guère à surmonter de légitimes différents. Ce refus de la décision est lié au mal qui frappe nos élites ; elles ne croient plus à la grandeur de notre continent ; elles sont gâtées jusqu’à la moelle par la culpabilité dont elles transmettent l’agent létal à l’ensemble des Européens. D’où cette dérive moralisatrice qui transforme l’Europe en tribunal, mais en tribunal impuissant.

[…]

L’orgiasme n’est pas une réponse au retrait du politique, car il exclut la présence de l’ennemi. Quand il se manifeste, l’ennemi, lui, ne s’adonne pas au ludisme dionysiaque. Si le politique baisse la garde, il y aura toujours un ennemi pour troubler notre sommeil et déranger nos rêves. Il n’y a qu’un pas de la fête à la défaite. Ces tribus là ne sont pas un défi à l’individualisme, elles en sont l’accomplissement chamarré…

[…]

P.B. – L’Europe n’est qu’un tigre de papier.

J.F. – Elle ne fait même pas semblant d’être un tigre ! Depuis plus de quarante ans, elle s’en remet aux Américains pour ce qui est de sa protection. Elle a pris le pli de la vassalité, l’habitude d’une servitude confortable. C’est ce que dévoilent d’ailleurs les choix budgétaires de tous ses gouvernements quelle qu’en soit la couleur : la portion congrue pour la défense, une part grandissante pour les dépenses sociales. En réalité, L’Europe ne peut se construire que sur un enjeu ultime… la question de la vie et de la mort. Seul le militaire est fédérateur, car dans l’extrême danger il est la seule réponse possible. Or ce danger viendra, car l’Europe vieillissante riche et apathique ne manquera pas d’attiser des convoitises. Alors viendra le moment de la décision, celui de la reconnaissance de l’ennemi… Ce sera le sursaut ou la mort. Voilà ce que je pense.

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C’est Nietzsche qui écrit dans La volonté de puissance que l’Europe malade trouve un soulagement dans la calomnie. Mais il se pourrait bien que le masochisme européen ne soit qu’une ruse de l’orgueil occidental. Blâmer sa propre histoire, fustiger son identité, c’est encore affirmer sa supériorité dans le Bien. Jadis l’occidental assurait sa superbe au nom de son dieu ou au nom du progrès. Aujourd’hui il veut faire honte aux autres de leur fermeture, de leur intégrisme, de leur enracinement coupable et il exhibe sa contrition insolente comme preuve de sa bonne foi. Ce ne serait pas seulement la fatigue d’être soi que trahirait ce nihilisme contempteur mais plus certainement la volonté de demeurer le précepteur de l’humanité en payant d’abord de sa personne. Demeurer toujours exemplaire, s’affirmer comme l’unique producteur des normes, tel est son atavisme. Cette mélodie du métissage qu’il entonne incessamment, ce ne serait pas tant une complainte exténuée qu’un péan héroïque. La preuve ultime de sa supériorité quand, en effet, partout ailleurs, les autres érigent des barrières et renforcent les clôtures. L’occidental, lui, s’ouvre, se mélange, s’hybride dans l’euphorie et en tire l’argument de son règne sur ceux qui restent rivés à l’idolâtrie des origines. Ce ne serait ni par abnégation, ni même par résignation qu’il précipiterait sa propre déchéance mais pour se confondre enfin intégralement avec ce concept d’humanité qui a toujours été le motif privilégié de sa domination… Il y a beaucoup de cabotinage dans cet altruisme dévergondé et dominateur et c’est pourquoi le monde du spectacle y tient le premier rôle.

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La modernité tardive que j’appelle décadence se veut formellement libertaire. Elle entend bannir tabous et inhibitions au profit d’une spontanéité qui rejette les conventions… La civilité, la politesse, la galanterie… Toutes ces procédures qui cantonnent l’instinct agressif pour lisser l’interface ; en un mot l’élégance sociétale, c’est-à-dire le souci de l’autre. Il y a un risque d’anomie que les thuriféraires de soixante-huit ont largement contribué à magnifier en laissant croire que tous ces codes relevaient d’une aliénation d’essence autoritaire et bourgeoise… Les bourgeois sont d’ailleurs les premiers à s’en émanciper, et avec quel entrain… Ils sont l’avant-garde de l’anomie à venir, des enragés de la décivilisation.

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La Résistance… Vous savez comme je l’ai faite dès janvier 1941. Le Résistant qui fut l’emblème héroïque des années d’après-guerre quitte aujourd’hui la scène au profit d’autres acteurs. Je ne m’en afflige nullement puisque j’ai toujours refusé les honneurs. Le Résistant, c’est un combattant, il fait en situation d’exception la discrimination entre l’ami et l’ennemi et il assume tous les risques. Son image ne cadre pas avec l’amollissement que l’on veut cultiver. C’est peut-être pourquoi on lui préfère aujourd’hui les victimes. Mais assurément, leur exemplarité n’est pas du même ordre. Le souvenir de la Résistance combattante doit s’effacer parce que son image renvoie d’une manière trop explicite au patriotisme. Il y a donc bien une contradiction entre le recyclage continu d’un fascisme mythique et malfaisant et l’occultation progressive de ceux qui ont combattu le fascisme réel, les armes à la main. Cette bizarrerie tend à montrer que le même mot renvoie bien à des réalités différentes…

La Résistance est partie prenante de l’ancien monde, celui des réflexes vitaux qui se mettent en branle lorsque le territoire est envahi par l’ennemi. Les nouvelles de Maupassant montrent très bien cela dans un contexte où le nazisme n’avait pas cours. Or, c’est ce lien quasiment paysan à la terre que l’on prétend aujourd’hui abolir parce que les élites, elles, se sont affranchies de ces attaches… Elles deviennent transnationales et discréditent des liens qui sont pour elles autant d’entraves. Dans ce contexte, le maquisard devient un personnage encombrant… Trop rivé à son sol, à ses forêts, à sa montagne…

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Il y a une revendication démesurée des droits qu’un Etat ramolli et bienveillant s’efforce de satisfaire, car cette demande qui lui est adressée, elle contribue aussi à le légitimer. Le droit à la santé par exemple s’intègre dans cette extension illimitée, d’où le risque d’un despotisme thérapeutique. Car, enfin, la gratuité des soins conduit automatiquement l’Etat, dispensateur et gestionnaire du système de santé, à organiser une prévention collective toujours plus vigilante au nom de la rentabilité. La société du contrôle total est au bout de l’idéal hygiénique. Aboutissement qui n’est pas antinomique d’un Etat faible, d’un Etat apathique en tous cas dans le registre des fonctions régaliennes…

L’obligation sanitaire pourrait être dans un proche avenir au fondement d’une nouvelle forme de totalitarisme. Le refus pathologique du vieillissement et de la mort, intimement lié à cet effacement de la transcendance dont nous parlions laisse aisément présager l’aptitude de nos contemporains à consentir au cauchemar climatisé dont parlait Bernanos. Le harcèlement que nous subissons à propos de l’alcool et du tabac donne un mince avant-goût de ce que nous pourrions subir. Nous sommes talonnés par des instruments de surveillance toujours plus sophistiqués, sans que cela ne soulève de réelles protestations. C’est la face noire du jeunisme qui nous assaille. Et le sportif exemplaire, la star athlétique, le dieu du stade, objet de toutes les sollicitudes publicitaires, c’est le point de mire de toute cette mécanique. C’est l’icône pathétique d’une propagande qui promet la rédemption du corps par un nouveau régime de salubrité imposé.

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Vous savez… Justifiant les noyades de Nantes, le conventionnel Carrier proclamait déjà que c’était par  » principe d’humanité  » qu’il purgeait  » la terre de la liberté de ces monstres « …Porté à l’incandescence idéologique le concept d’humanité comme n’importe quel autre peut devenir une incitation au meurtre. Il n’y a pas d’idée tolérante ; il n’y a que des comportements tolérants. Toute idée porte en elle l’exclusivisme, et les énoncés mirobolants d’aujourd’hui n’échappent pas à cette règle.

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Je ne pourrais plus parler de supériorité intrinsèque de l’Europe. Un tel jugement n’est concevable que dans une perspective universaliste. Pour que les hiérarchies fassent sens, il faut bien que les valeurs qui permettent de les établir soient unanimement partagées. Or, les valeurs étant l’expression de cultures différentes, toute tentative de classement trahit un ethnocentrisme effronté. Ce que l’on baptise pompeusement l’universel, qu’est-ce donc d’autre, sinon la culture et les préjugés des conquérants ?

J’incline à penser que l’écart entre les cultures ne relève pas d’une différence de degré, mais d’une distinction de nature, même si, bien entendu, il n’y a qu’une seule espèce humaine. D’où ma réserve, pour ne pas dire plus, vis à vis de cette arrogance occidentale qui pulvérise le pluriversum planétaire avec, il faut bien le dire, la complicité extasiée de la plupart de ses victimes. Ultimes sectateurs de cette occidentalisation, les croisés des droits-de-l’homme ne sont pas ses thuriféraires les plus naïfs. Le moralisme chevillé au corps, ils couronnent un processus qui n’a fait que s’accentuer pour le plus grand malheur de l’humanité. Car, enfin, concrètement, ce qu’on appelle prétentieusement le développement, qu’est-ce d’autre que la métamorphose de la pauvreté en misère. Qu’est-ce donc que la misère ? C’est la pauvreté sans le secours apaisant du groupe, sans les racines partagées, sans l’assurance d’un entre-soi solidaire.
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P.B. – Les aspirations libérales et les aspirations social-démocrates ont ceci en commun d’être issues de la matrice des Lumières et de surestimer le rôle de l’économie au point de toujours privilégier la croissance comme un sésame en dépit des ravages qu’elle exerce aussi bien sur la biosphère que dans la sociosphère. Il s’agit de deux inflexions d’un même système, comme vous l’avez d’ailleurs écrit à plusieurs reprises. A tour de rôle, chacun de ces deux sous-systèmes est mis en avant pour corriger les excès de l’autre, mais on ne met jamais en question la matrice commune et ses paradigmes. C’est pourquoi les frères ennemis jouissent d’un bail emphytéotique sur ce qui nous reste de vie politique.

J.F. – C’est ce qui conduit Alain de Benoist à relativiser la pertinence du clivage gauche-droite.

P.B. – Oui, c’est un clivage obsolescent quant au fond, un simple label pour identifier des commissions de gestionnaires rivaux ; mais les élites dépensent des trésors de communication pour le maintenir sous perfusion. Il y va de leur intérêt. Cette hégémonie n’est même pas sérieusement contestée par les chapelles d’extrême-gauche dont la présence très active dans ce qu’un de vos collègues appelle les nouveaux mouvements sociaux, prend pour cible privilégiée la famille, l’armée, la religion, l’école autoritaire, etc… Autant de proies chétives, d’objectifs cacochymes, de leurres, que l’évaluation libérale-libertaire du capitalisme s’est depuis longtemps employée à déconsidérer et dont les vestiges, objets de railleries consensuelles, ne peuvent plus être considérés comme des forces agissantes et, à fortiori, comme des instruments d’oppression. En blasphémant des idoles déchues, ils participent de cette  » insignifiance  » dont parle Castoriadis pour qualifier ce présent où nous avons à vivre.

J.F. – Mon cher Bérard ; nous allons finir cette bouteille, il faut sustenter cette péroraison…

P.B. – C’est un fait, la clameur  » contestataire  » enfle au rythme où s’épuise son imaginaire révolutionnaire. On notera par ailleurs que cette clameur trouve un écho complice dans ce qu’il faut bien appeler la presse  » patronale « , ce qui est tout dire de la capacité subversive que lui reconnaissent les classes dirigeantes. En vociférant contre les vestiges de l’ancienne société, la dissidence de confort apporte sa modeste contribution à l’entreprise de bazardement qui doit faire place nette aux stratégies de recomposition d’un capitalisme mondialisé. Leurs diatribes contre la France frileuse, le repli identitaire, le tribalisme xénophobe… c’est cela : la version jeuniste, lyrique et bigarrée d’une raison libérale qui a fait le choix de la globalisation et considère, en conséquence, les frontières comme des obstacles à effacer. Favoriser la porosité des territoires pour que demeure seulement un espace homogène de consommation. Le monde sans frontière dont rêvent les gauchistes ressemble furieusement à un terrain de jeu pour multinationales en goguette.

Attention : le lien suivant est déconseillé aux âmes sensibles. Il vous dirigera vers le dialogue complet entre Pierre Bérard et Julien Freund. On notera notamment la présence de mots tels qu’aboulie, oekoumène, irénique ou hétérotélie. Oui je sais c’est dur. Vous voilà prévenus.

Extrait du Républicoin d’hier

« Merveilleux n’est-ce pas que ce grand pays européen, qui d’un côté juge à huis clos un barbare fier d’avoir enlevé, torturé et assassiné un jeune Français juif, et qui de l’autre propose aux élections européennes une liste dont le chef de file fustige tous ces « youpins sionistes » qui sionisent la France ? Mais oui, mais oui !

Il est vrai que jour après jour la sionisation de ce pays apparaît évidente. Que ne les voyez-vous pas, tous ces drapeaux sionistes aux fenêtres des habitations sionistes, sur les pulls des jeunes sionistes, ou encore arborés fièrement dans les mairies lors des mariages sionistes ? C’est comme toutes ces hordes de jeunes sionistes agressant en bande toute personne, mais aussi médecins, pompiers et forces de l’ordre, qui s’introduiraient dans les quartiers sionistes. Et qui depuis peu agressent même des non-sionistes dans les bus de la capitale aux cris de « sale goy ». Ne parlons même pas de tous les trafics qui ont lieu dans les quartiers soumis à la loi sioniste. Et puis vous avez vu dans les maternités toutes ces femmes sionistes, dont le taux de fécondité est trois fois supérieur à celui des non-sionistes, accouchant systématiquement de Moïses histoire de bien marquer leur différence ? Pas un Alain, un Patrick, un Jacques, un Paul. Que des Moïse. C’est un signe ça non ? Sans compter tous ces sionistes qui par dizaines de milliers débarquent clandestinement chez nous chaque année. Qui débarquent, qui refusent en grande partie de s’intégrer et qui réclament des statistiques ethniques afin de démontrer que les sionistes subissent des discriminations, histoire de bénéficier par le biais de la discrimination positive des places qui leur reviendraient de droit. Et puis tous ces attentats sionistes, avouez que ça commence à bien faire. N’est-ce pas insupportable, toutes ces églises, mosquées, temples hindous, et ambassades qui brûlent dans tous les pays aux mains des sionistes, dès que s’exprime la moindre critique à l’encontre de leur religion particulièrement prosélyte, hein ? Et tous ces intellectuels, ici et là menacés, voire égorgés à la moindre critique. Non, c’est certain, les sionistes imposent la censure, leur loi, leurs coutumes, leur langue, leur religion…

Non mais quelle bande de malades ! Et c’est dans mon pays que cela se passe, le tout sans la moindre réaction de notre gauche morale, de nos beaux parleurs et autres grandes consciences de gauche, comme de droite. Pas la moindre manifestation du genre « touche pas à mon pote ». Pas le moindre coup de gueule de la part de tous nos grandes gueules, de nos artistes, comédiens, chanteurs et autres petits comiques. Sans doute la preuve que tout cela n’est pas si grave, n’est-ce pas ? »

Du SIL en très très grande forme.