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Gallimard fête un siècle d’existence

On a fortement tendance à blâmer la France et ses citoyens pour un peu tout et n’importe quoi, à se dire que la France, l’Europe n’ont pas d’avenir et ne proposent finalement rien de bien excitant pour l’avenir. Je noircis un peu le tableau, mais finalement pas tant que ça.

Histoire de mettre en exergue ce que l’hexagone a de bon à proposer, je vous propose de lire ce court article paru sur le blog La Républiques des Livres, à propos du siècle d’existence de la maison d’édition Gallimard. Comme le mentionne l’écrivain Milan Kundera (je paraphrase l’article en question), « cette aventure éditoriale qu’elle est unique non seulement en Europe mais au monde ».

Theodore Kaczynski, alias Unabomber, est surtout connu pour avoir été l’homme le plus recherché de l’histoire du FBI. De 1979 à 1996, il a terrorisé l’Amérique à coup de colis piégés avant de se faire capturer et emprisonner à vie. Pourtant, Unabomber est également un intellectuel, un écrivain essayiste ainsi qu’un mathématicien hors pair. Sorti de Harvard à l’âge de 20 ans et promis à une brillante carrière académique, Kaczynski a pourtant très vite choisi une autre voie, celle du combat écologique radical. Dès les années 70, il se révoltait contre les avancées foudroyantes de la technologie jusqu’au plus profond de la campagne américaine. Résolu à vivre son combat très concrètement, Kaczynski a quitté la civilisation pour vivre dans une petite cabane de bois au fond de la forêt du Montana. C’est de là qu’il bascule dans l’action violente et le meurtre, sans pour autant abandonner l’écriture et l’étude qu’il poursuit actuellement dans sa cellule de prison. En exclusivité mondiale et avec son accord, les éditions Xenia (Suisse) publient aujourd’hui l’intégralité des écrits de Theodore Kaczynski.

La mise au point des éditions Xenia :

« C’est au travers du Dr Patrick Barriot, correspondant de longue date de Theodore J. Kaczynski et auteur de la préface de ce livre, que nous est arrivé le projet Unabomber. Comme Kaczynski ne trouvait aucun éditeur américain adéquat, il avait chargé son correspondant français de lui trouver un éditeur à l’étranger.

Nous avons décidé d’accepter. Les raisons en sont assez évidentes :

  • Theodore Kaczynski, le prisonnier le plus illustre du vaste archipel carcéral américain, est une figure extrêmement controversée, ainsi qu’un véritable mythe. Beaucoup connaissent le personnage, et son manifeste,La société industrielle et son avenir, est déjà connu du public. Il a notamment eu deux éditions différentes en langue française. Cependant, aucune version existante de ce manifeste n’avait été autorisée et établie par l’auteur lui-même.
  • D’autre part, Kaczynski a continué d’écrire dans sa prison de haute sécurité: des milliers de feuilles lignées, remplies au stylo-bille ou au crayon d’une écriture méticuleuse et dupliquées à la main: essais anthropologiques, réflexions sur la révolution, correspondances avec des universitaires ou des militants — notamment sa très importante correspondance avec David Skrbina, de l’Université du Michigan. Ces textes — plus des trois quarts de notre édition — étaient à ce jour inédits. Ils permettent de se faire une tout autre idée de leur auteur que celle qui a été sommairement répandue par les médias américains.

Nous nous sommes donc engagés, d’une part, à publier le livre selon les indications exactes de l’auteur. Et d’autre part, à le faire simultanément en traduction française et dans la version originale américaine. »

Le site du livre

The Pillars Of The Earth

Je viens juste de terminer les « The Pillars Of The Earth » (Pilliers De La Terre en frenchie) de Ken Follett. J’avais souvent entendu parler de ce bouquin et de son auteur. Follett est un best-selling-author, surtout reconnu pour les « Pilliers De La Terre » et de ces nombreux romans d’intrigue politique. Je savais que j’allais me lancer dans une epopee de 1000 pages, et l’idee de me plonger pendant plusieurs mois dans une grosse aventure medieval m’emballait – surtout qu’apres avoir lu des series comme Les Rois Maudits et les Fortunes de France (je n’ai que lu le premier volume de ce dernier) – j’avais envie d’en savoir plus sur la societe humaine de ces epoques reculees.

Les Pilliers De La Terre s’articule sur deux grands axes: l’intrigue politique au sein d’une guerre civile Anglaise du XII siecle, et la construction de cathedrales. Ken Follet reussi avec brio l’elaboration de son histoire autour de ces deux themes. Le livre se developpe sur une quarantaine d’annees, reprenant le destin epique qui unit la vie des personnages principaux à la construction de la cathedrale de Kingsbridge.

Au niveau politique, on est bien servi. Bien que l’intrigue de ce livre releve de la fiction, son contexte lui est bien reel. Il couvre une période allant du naufrage de la Blanche-Nef (en 1120 – pas moins de 140 hauts barons et dix-huit femmes de haute naissance, filles, sœurs, nièces ou épouses de rois et de comtes à son bord, parmi lesquels l’héritier du trône d’Angleterre y meurent) qui laissa la couronne d’Angleterre sans héritier et eut pour conséquence la guerre civile, denomee la periode d’ « Anarchie », jusqu’à l’assassinat de l’archevêque Thomas Becket dans la cathédrale de Cantorbéry en 1170. Le pauvre se fait d’ailleurs fendre la tete en deux par une epee a eux main dans le bouquin(cet element nest pas vraiment un spoil – de toute facon yen a pour 1000 pages avant darriver a ce passage, et il ne spoil en aucun cas l’intrigue directe du livre)

L’intrigue mêle les tensions entre le pouvoir monarchique convoité par l’Église, réalité historique, et les rivalités familiales et amoureuses entre des personnages issus de couches sociales très différentes, allant du hors-la-loi au comte en passant par l’artisan en quête de travail. La religion a egalement une part tres importante dans tout ce bordel.

Bref, bien trippant – surtout ce concept de focaliser toute l’histoire sur la creation dune cathedrale. L’auteur n’hesite pas a rentrer dans le detail de sa construction, se permettant ainsi des passages techniques, expliquant des principes d’architecture etc.

Je conseille.

Le club des policiers yiddish – Michael Chabon

Zai zai zai zai

La quatrième de couverture de l’édition 10/18 propose timidement une citation prise d’un article du magazine Elle, bien que Le club des policiers yiddish ait obtenu des prix prétigieux, comme le Hugo, le Locus et le Nebula. Peut-être est-ce pour ne pas effrayer le lectorat qui pourrait, par réflexe, fuir ce polar teinté d’uchronie. Michael Chabon plante en effet un décor inattendu: le peuple juif, chassé du moyen-orient, trouve en partie refuge en Alaska. A défaut d’y trouver une terre bien à eux, les juifs d’Europe de l’Est en exode profitent de la générosité du président Franklin D. Roosevelt, à qui ils doivent la concession de territoires dans cette région rude et lointaine. Mais cette concession, au moment des événements, approche dramatiquement de son terme.

Meyer Landsman représente pour son peuple un marginal. Athé, Meyer se trimballe une haleine lourde d’alcool ainsi que son seul compagnon, un autre yid en décalage, Berko Shemets, son coéquipier et cousin. Et Meyer se trimballe aussi une sale embrouille à élucider: le meurtre d’un junkie dans un hôtel minable du district de Sitka, dans sa chambre, quelques étages plus bas de celle de Meyer, en fait, qui crèche également dans l’hôtel depuis son divorce. Et pour clore le tableau, Meyer reste incertain quant à son avenir, car la rétrocession des territoires d’Alaska aux Etats-Unis n’augure pas des lendemains qui chantent. Dur d’être un Yid dans ces conditions.

La force de ce livre est, vous l’aurez probablement compris, le mélange de science fiction et de polar particulièrement ingénieux et maîtrisé par l’auteur. Le polar domine cependant l’ensemble, l’uchronie sert de toile de fond, elle instaure une atmosphère particulière, assez subtile, richement agrémentée de termes yiddish qui renforcent l’immersion. A ce sujet, le livre est agrémenté d’un lexique, utile ou irritant selon les goûts. Personnellement, je ne suis pas un adepte des lexiques auxquels il faut se référer à chaque paragraphe, alors je ne l’ai consulté qu’en de rares occasions car, au final, la grande majorité de ces termes yiddish reste compréhensible grâce au contexte.

Pour conclure, je ressors ravi de cette lecture. Ravi car Le club des policiers yiddish est captivant, et ravi de découvrir un auteur capable d’approcher la science fiction intelligemment, de l’utiliser pour sortir des carcans, pour explorer, pour proposer autre chose aux lecteurs. Une approche qui n’est pas sans rappeler certaines pointures comme Philip K. Dick (sans le comparer pour autant à Michael Chabon), qui disait de sa science fiction qu’elle cherchait à répondre à la question, l’estomac noué: « Oh mon Dieu, et si…? »

Singularité – Stephen Baxter

Singularité est le deuxième volet du cycle des Xeelees de Stephen Baxter, mais peut se lire indépendamment du premier tome, Gravité, également paru aux éditions Le Bélial. Stephen Baxter est un auteur renommé de science fiction, à qui l’on doit notamment l’excellent Evolution, qui est ingénieur en mathématiques, docteur en aéronautique, aujourd’hui professeur en mathématiques et en physique, et fut en 1991 candidat astronaute pour rejoindre la station Mir. Autant dire un scientifique, un dur, qui, en tant qu’auteur, écrit de la science fiction au vrai sens du terme: une extrapolation de la science mise en scène par la fiction, dans la veine d’auteurs comme Greg Bear (dont La musique du sang est ici présenté par notre ami Tranxenne).

Singularité présente l’humanité au prise avec les Qax, une race extraterrestre qui a asservi les hommes. Jason Partz est ambassadeur humain auprés des Qax, et voue sa vie à adoucir cette servitude. Bien malgré lui, il se retrouve dans l’obligation d’assister les envahisseurs à prendre une décision face à une situation improbable: l’apparition d’une extrêmité d’un trou de ver construit par les humains 1500 ans auparavant. Parenthèse: Un trou de ver est un tunnel reliant un trou noir à un trou blanc, et se base sur le concept de singularité, soit un point ou une valeur dans lequel un certain object mathématiques n’est pas défini. Par exemple, la fonction f(x)=1/x admet une singularité pour x=0. Par extension, en relativité générale, une singularité gravitationnelle est une région de l’espace-temps pour laquelle certaines quantités qui décrivent le champ gravitationnel sont infinies. Selon cette même relativité, la création d’une singularité gravitationnelle va de pair avec la création d’un trou noir, et le Big Bang pourrait être issu d’une singularité gravitationnelle. Fin de la parenthèse, merci à ceux qui continuent de lire ce post.

Singularité est un livre qui s’inscrit dans une oeuvre ambitieuse, le cycle des Xeelees, qui couvre l’histoire de l’Univers, rien que ça. Baxter possède cette faculté de donner le vertige par le biais de ses extrapolations scientifiques, qui se basent bien entendu sur des concepts dont il est bon de prendre connaissance au préalable, par exemple grâce aux ouvrages de vulgarisation scientifique comme L’Univers dans une coquille de noix, voire des ouvrages scientifiques tout court. Pour illustrer la démesure de l’ambition, il faut savoir par exemple que l’action de Singularité débute en 3717, tandis que Gravité se déroule en 104 858, et que l’ensemble des textes du cycle couvre une période de la création du Big Bang il a 13,7 milliards d’années à environ 5 milliards d’années après l’an 0. Par ailleurs, une chronologie des événements se trouve à la fin du roman, et permet de situer les différents romans et nouvelles. Fort heureusement, Baxter possède l’imagination nécessaire pour créer chez le lecteur cette sensation rare , je l’ai déjà dit, de véritable vertige. Ce roman offre de véritables moments de réjouissance pour peu que l’on s’intéresse de près ou de loin à la science, ou que l’on souhaite plonger sans retenue dans cette histoire de l’Univers à part. Ceci dit, en ce qui concerne l’intérêt à la science, mieux vaut l’approcher de près que de loin, j’avoue ne pas complètement saisir l’ensemble des implications, voire des explications, de Singularité.

Par contre, il ne faut pas attendre de Stephen Baxter d’épaissir la psychologie des personnages, qui discutent de concepts scientifiques comme s’ils étaient tous docteurs en astrophysique, et se comportent, d’une certaine manière, comme des névrosés. Effectivement, la science est elle même un personnage à part entière, qui souvent phagocyte des éléments qui contribuent à l’équilibre du récit. Il s’agit de Hard SF, qui, sans vouloir généraliser, reste dure et parfois aride – mais néanmoins fascinante. Cependant, Singularité n’honore parfois pas l’ambition de l’oeuvre dans lequel le livre s’inscrit, et semble manquer lui aussi, d’épaisseur. Fort heureusement, pas au point de nuire au plaisir que peut ressentir l’amateur de science-fiction. Et si vous en voulez plus, notez que le troisième tome, des quatre romans, du cycle des Xeelees paraitra aux éditions Le Bélial le 24 mars.

World War Z – Max Brooks

Bleeuuaaaargh !

Max Brooks est un auteur qui travaille au corps le thème du zombie, il nous a d’ailleurs proposé auparavant un bouquin qui pourrait nous sauver la peau si jamais un jour les zombies décident d’exister et de venir nous moisir l’existence. Cependant, contrairement au Guide de survie en territoire zombie, World War Z est un livre qui creuse le sujet et définit de nouvelles frontières: il s’agit d’un recueil de témoignages de différents témoins, et acteurs, de la guerre contre les zombies rassemblés par l’auteur, qui joue le rôle d’un agent de la commission post-traumatique de l’O.N.U. . A défaut de fournir une analyse statistique et factuelle de la guerre, il s’attache à explorer la dimension humaine d’une crise sans précédent.

Ce livre décrit une période qui débute à la naissance de la pandémie jusqu’à la guerre planétaire organisée, avec, entre ces événements, la phase de panique et d’anarchie sauvage. Ambitieux, World War Z dépeint au travers de ces témoignages les bouleversements économiques, sociétaux, géopolitiques et environnementaux d’une espèce en voie d’extinction, en proie à l’horreur pure qui instaure pour l’humanité un futur sombre, où l’avenir n’a de prometteur que le nom. Max Brooks s’attarde avec une réelle maitrise à imaginer ce que seraient la planète et ses sociétés humaines face à une invasion d’un genre inattendu dans la réalité, des zombies par millions, bestiaux et affamés, et quels seraient les scénarios probables et réalistes engendrés par un tel événement. Sa vision des relations internationales dans ce contexte demeure au fil du livre solide, inattendue. A défaut d’imaginer en fait, ce qui pourraient raisonnablement arriver, l’auteur évoque sa réflexion réelle, les témoignages, comme autant de pièces d’un puzzle, s’imbriquent à merveille, tant et si bien que l’on prend conscience de l’envergue de son travail.

Et, par conséquent, sa lecture en est passionnante, certains récits sont de vrais morceaux de bravoure qui pourraient, à eux seuls, être lus comme des nouvelles indépendantes. Mis bout à bout, ils forment une véritable histoire de l’humanité confrontée à sa disparition mais dresse un portrait cartésien, objectif, de la nature humaine: parfois pathétique, atroce, souvent parfaitement stupide mais aussi touchante, admirable et pleine de promesse. Max Brooks cristallise simplement les inquiétudes de notre époque et les diffuse au travers d’un prisme horrifique avec, force est de l’admettre, une classe certaine.

Si j’extrapolais je dirais que Max Brooks pourrait, dans la mesure où le thème du zombie reste au coeur de son travail, définir un cadre, voire des règles, sur lequel pourraient s’appuyer à l’avenir les écrivains, les cinéastes, les créateurs de jeux vidéos qui continueraient à rêver, hum! si l’on peut dire, à un monde gavé jusqu’à la gorge de goules sanguinaires. Si tel est l’envie de Max Brooks, et si la qualité de ses créations repose sur le standard désormais imposé par World War Z, les amateurs de morts vivants peuvent poser un regard serein à l’horizon, plisser les yeux et essayer d’appercevoir les premières ombres errantes au loin, puis hurler en leur fort intérieur: que Dieu bénisse George Andrew Romero!

Le codex du Sinaï – Edward Whittemore

"Défendre Jérusalem, c'est toujours se ranger du côté des perdants"

Préambule: Il ne faut surtout pas se fier à l’hideuse couverture signée, comme pour Le long chemin du retour, Jackie Paternoster, qui apparemment s’éclate à s’en crever les yeux sur son (très) vieux logiciel de 3D. Il ne faut pas non plus se fier à la collection du roman, Ailleurs et Demain, car Le codex du Sinaï n’est pas de la science fiction. Mais l’on peut se fier à Gérard Klein lorsqu’il nous raconte que ce bouquin est génial.

Edward Whittemore est un auteur à part: ancien agent de la CIA, Whittemore est diplômé de l’université de Yale, sert au Japon chez les Marines, agit ensuite activemment pour l’agence au Moyen-Orient, en Europe et en Asie, puis se lance corps et âme dans l’écriture qui ne lui apportera jamais la reconnaissance qu’il mérite. En lisant Whittemore, on hume Nabokov, Borges, Pynchon, et dés les premières pages le talent de l’auteur nous explose au visage – d’où les comparaisons flatteuses. A leurs manières, Whittemore étire la réalité sans se soucier des proportions, jusqu’à repousser les limites de son imagination incroyable et de sa connaissance approfondie de l’Histoire et du Moyen-Orient pour dépeindre l’existences de personnages hors-normes, bien trop grands pour le monde dans lequel ils évoluent.

Et pourtant l’auteur s’est attelé à leur offrir une tétralogie, dont le Codex du Sinaï est le premier tome, suivi de Jérusalem au poker, Ombres sur le Nil et La mosaïque de Jéricho. Ce premier tome, donc, expose au lecteur l’existence de la Bible originelle, dont le contenu secoue comme un tremblement de terre les fondements de la religion et aurait pu saper les croyances du monde sans l’intervention d’un imposteur albanais terrifié par cette découverte. Dans ce livre, on y croise également un vieillard de 3000 ans qui a passé sa vie à défendre Jérusalem, toujours à côté des perdants, un lord anglais qui possèdera l’empire ottoman et érigea son ultime insulte à la face de l’empire britannique par le biais d’un traité sur le sexe levantin en trente-trois volumes, ou encore un exilé irlandais en terre sainte promu vétéran d’une guerre qu’il n’a jamais connue.

Sous cette apparente désorganisation réside en fait une trame parfaitement maîtrisée, qui est résumée à la fin du livre par une chronologie des événements salutaire si l’on perd le fil en cours de lecture. Loin d’être un artifice, cette relative destructuration du récit permet d’entrevoir des perspectives burlesques et fantasques, à l’image de cette histoire du monde qui aurait sûrement arraché un sourire complice à Lewis Carroll. La qualité d’écrivain de Whittemore subjugue, on referme Le codex du Sinaï avec le sentiment d’avoir lu un livre rare, totalement captivant, et vaine est la lutte contre l’envie irrépressible de se ruer sur la suite. Dire que Whittemore ne vendait que 3000 exemplaires pour chacun de ses livres me laisse, après la lecture du Codex du Sinaï, dans un état trouble empreint d’inquiétude, car c’est bien de chef d’oeuvre dont il est question avec ce roman.

Pas si long que ça avec une bonne paire d'Air Max

Je tiens avant toute chose à vous avertir que la qualité du bouquin est inversement proportionnelle à celle de l’illustration de couverture, réalisée par J. Paternoster. Paternoster, il y en a qui aiment, d’autres qui généralement laissent leurs tripes sur le carrelage à force de dégueuler bruyamment. Je fais partie de la deuxième catégorie. Ceci étant dit, parlons donc du livre. Le long chemin du retour nous transporte sur une planète au système politique archaïque, mais qui, dans cet univers, a prouvé son efficacité: depuis que les Maitres ont débarqué sur Patrie, le nom de la dite planète, le Peuple, arrivé des milliers d’années plus tôt, est assujetti à cette caste dominante composée de grandes familles. A la longue, un ordre immuable semble s’être établi et la machine bien huilée. Mais un soir, Joseph Keilloran, héritier de la maison Keilloran alors invité par la Maison Geften à des milliers de kilomètres de chez lui, est réveillé par la révolte du Peuple qui massacre les Maitres et leurs sujets. Grâce à l’aide apportée par une servante, il parvient à gagner la forêt, et par conséquent, à fuire. Fuire. L’idée est séduisante en pareil cas, mais néanmoins particulièrement ardue à appliquer lorsque l’on est adolescent et que, sans ressource, il faut rentrer chez soi. D’où le titre.

Le long chemin du retour est un roman assez court, un peu plus de 300 pages, il ne s’agit donc pas d’une fresque épique. Joseph ne transporte pas d’anneau unique, il n’est pas poursuivi par des Nazguls furieux, il mesure plus d’un mètre cinquante et n’a pas les pieds velus. Enfin peut-être, il y a peu de détails sur ses pieds. Le long chemin du retour pour Joseph est à double sens. Littéralement, bien sûr, mais également de manière initiatique. Il rencontrera les Indigènes sur son trajet, seuls véritables autochtones qui vivent reclus, des humanoïdes qui ne sont pas des hommes pour autant. Fort de son éducation, Joseph s’adapte et apprend, et remet en question ses certitudes de noble bien établies, il mûrit bien entendu.

Ce qu’il y a d’intéressant avec Silverberg, c’est que pour lui la science fiction n’est qu’un prétexte. Elle lui sert de cadre, ou de laboratoire, pour des personnages dont on découvre au fils des livres la richesse, à l’inverse d’une science fiction qui place la science à égale avec l’humain, voire au dessus. A l’instar de L’homme dans le labyrinthe, l’univers nourrit les personnages et leur psychologie n’obtient finalement de sens que face à ce contexte exceptionnel, mais malgré tout, et c’est assez évident pour Le long chemin du retour, l’humanisme ancrée dans les livres de Silverberg nous rapproche nous, hommes de notre époque, de ces hommes d’un autre âge.

« L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir ; il porte avec lui l’immensité. » Chateaubriand

Au fait…

OUAAAAAIS Stalker est réédité!

… Stalker, le chef d’oeuvre des frères Arcadi et Boris Strougatski, est réédité depuis quelques mois! Mais je viens de le découvrir, j’avais traqué mon exemplaire sur les sites de ventes en ligne pour acquérir ce roman qui figure au sommet des bouquins de SF, voire des bouquins tout court, quoique c’est toujours délicat d’insérer ce genre de littérature dans la littérature heuuu… tout court. Sous titré Pique-Nique au bord du chemin, Stalker narre l’histoire d’un stalker, un braconnier qui chasse des artefacts extra-terrestres sur notre belle planète. Un braconnier car les zones qui contiennent ces artefacts sont surveillées et cloisonnées par l’armée. En effet, nul ne sait pourquoi ces extra-terrestres se sont arrêtés sur la Terre, ni combien de temps, ni rien du tout. Il se pourrait que les aliens se soient reposés sur Terre comme s’ils avaient pique-niqué comme un parisien sur une aire de repos autoroutière en cheminant vers la côte d’azur. Ils jouent les dégueulasses et abandonnent des objets sur place sans les déposer à la poubelle, mais à y bien réfléchir les parisiens se comportent peut être correctement sur les aires de repos, en fait. Redrick Shouhart est le protagoniste principal du livre, il recherche une étrange boule dorée qui, dit-on, exaucerait n’importe quel voeu, comme une lampe magique mais sans frotter, et sans se coltiner le génie qui en sort et fout tous les voeux en l’air pour cause de sémantique non conforme. Stalker est une livre à lire absolument, que vous aimiez ou non la science fiction, et donc, j’en reviens à l’information principale de ce post, vous pouvez désormais vous le procurer car l’éditeur Denoël a réédité, pour la joie de tous, ce joyau pour son excellente collection Lunes d’Encre. Et en plus, c’est bientôt Noël.

L’homme dans le labyrinthe – Robert Silverberg

Mouche toi donc t'as le nez qui coule

Je l’annonce directement, L’homme dans le labyrinthe est une excellente lecture que je conseille. Avant que vous ne vous disiez « Ca y’est, encore un billet bidon qui va tourner en eau de boudin sur un super bouquin », je précise que parler de ce livre sans dévoiler l’intrigue est compliqué, particulièrement en rentrant d’une dure journée de boulot (quoi? vous ne pensiez pas que nous gagnons notre vie avec le Mur de Laine de Briques quand même?). Bon, ce post partira sûrement en eau de boudin de toute manière, vous êtes prévenu. L’homme dans le labyrinthe est l’histoire d’une homme dans un labyrinthe. Jusque là, pas de spoiler. Richard Muller, l’homme qui est dans le labyrinthe, s’y est exilé suite à une mission de contact avec les hydriens, race d’extraterrestres de la planète Bêta Hydri IV. Le labyrinthe a ceci de particulier qu’il fut bâti par une autre race extraterrestre inconnue un million d’années auparavant, il recèle en outre d’innombrables dangers qui riment toujours avec la mort. Certes, danger ne rime pas avec mort, mais peu importe. Le gros problème survient lorsque l’humanité a besoin de Richard Muller qui, lui, rejette violemment cette humanité. Voilà, on arrête là, sinon je vais trop en dire, cependant permettez moi d’ajouter que la lecture de L’homme dans le labyrinthe fut une lecture passionnante. Si vous cherchez de l’action par contre passez votre chemin, Silverberg insiste énormément sur l’âme des protagonistes au détriment de la dite action. Attention, des gens meurent dans ce livre, ouf!, seulement cet auteur sait captiver le lecteur subtilement et inexorablement grâce à un talent qui l’a hissé au panthéon des auteurs de SF. C’est mérité, vraiment. Pour les amateurs, je situerais L’homme dans le labyrinthe entre Les monades urbaines et Les déserteurs temporels: pas aussi profond que le premier, mais beaucoup moins léger que le second. Bien. G.R.R. Martin vous dirait que ce bouquin manque de pizza, et de femmes aussi, logique, et qu’il l’aurait intitulé L’homme dans la pizza labyrinthe, où le héros passerait son temps à dévorer les murs faits de pizza qui repoussent selon une recette éternellement différente et savoureuse. Ou bien, à mieux y réfléchir, La pizza dans la pizza labyrinthe.

Why the West Rules ?

The Economist

IAN MORRIS, a polymathic Stanford University professor of classics and history, has written a remarkable book that may come to be as widely read as Paul Kennedy’s 1987 work, “The Rise and Fall of the Great Powers”. Like Mr Kennedy’s epic, Mr Morris’s “Why the West Rules—For Now” uses history and an overarching theory to address the anxieties of the present. Mr Kennedy warned American policymakers of the consequences of “imperial overstretch”, although it was the sudden implosion of the Soviet Union that proved the most spectacular vindication of his thesis.

For his part, Mr Morris sets out to show two things that are just as important; first that civilisations throughout history have waxed and waned, usually for reasons their rulers were powerless to influence, and second, that the West’s dominance of the past 200 years was neither inevitable nor “locked in” for the future.

Mr Morris’s refrain is “maps, not chaps”—the belief that human destiny is mostly shaped by geography and the efforts of ordinary people to cope with whatever is thrown at them in the form of climate change, famine, migration, disease and state failure (what the author describes as the “five horsemen of the apocalypse”). He argues that “history teaches us that when the pressure is on, change takes off.” According to what he calls, somewhat annoyingly, the Morris Theorem, “Change is caused by lazy, greedy, frightened people looking for easier, more profitable and safer ways of doing things. And they rarely know what they are doing.”

Among the many things the author sets out to explain is why, throughout human history, social development has gone in fits and starts, sometimes retreating in one place for a millennium or two before suddenly spurting forward again elsewhere. As a way of dramatising this, Mr Morris presents these ebbs and flows in the form of a contest between East and West. Why, he asks, did British boats shoot their way up the Yangzi in 1842 rather than Chinese ones up the Thames, and why do many more people from the East speak English than Europeans speak Mandarin?

At first glance the answer is obvious. The industrial revolution began in the West in the late 18th century thanks primarily to the efforts of British engineers and entrepreneurs who sought to exploit the energy from the country’s abundant coal stocks and use it to harness the power of steam to drive ships, trains and machines in factories. The rapid march of technology gave Britain a temporary edge over every other country and allowed it to project both economic and maritime military power on a global scale that remained virtually unchallenged for most of the next 100 years, and to establish the ascendancy of the West that continues today. But why did China, with its sophisticated textile industry, advanced metallurgy, massive supplies of coal and lots of clever, inventive people not get there first? After all, a couple of centuries earlier it had been higher up the social-development scale than Britain, or indeed anywhere else in the West.

And why, come to that, was Britain, rather than China, the foremost naval power of the age? More than 80 years before Christopher Columbus set sail for America with 90 seamen in three small ships, the Chinese admiral, Zheng He, was exploring the coasts of Africa and India with a total of nearly 300 much bigger vessels and 27,000 men. Mr Morris observes: “Zheng had magnetic compasses and knew enough about the Indian Ocean to fill a 21-foot-long sea chart; Columbus rarely knew where he was, let alone where he was going.”

Mr Morris begins his story more than 50,000 years ago, but it only really gets going with the beginning of agriculture and the birth of large-scale organised societies after the last ice age, around 12,000 years ago. He shows how successive civilisations radiated outward from two geographically distinct cores—the “hilly flanks” of western Eurasia and the area between the Yangzi and Yellow rivers in modern China—because of their relative abundance of domesticable plants and animals. Development started in the West about 2,000 years before similar advances got going in the East. Its lead shrank from about 1,000BC on, after which East and West were roughly level until the slow collapse of the Roman empire, which represented a peak of Western social development not matched until the start of the early modern era in the 17th century.

What Mr Morris shows is that over a period of 10,000 years one civilisation after another hit a “hard ceiling” of social development before falling apart, unable to control the forces its success had unleashed. For every two or three steps forward, there was at least one step back. During those periods of advance the West tended to pull ahead of the East, and during the steps back the gap narrowed again. On this went in a series of waves, each, Mr Morris says, cresting higher than the last, but with the West’s lead apparently locked in. That process continued until the middle of the sixth century AD when the East suddenly, and for the first time, spurted ahead as Europe entered the so-called Dark Ages and the Sui dynasty united China, laying the foundations for the East to hold the lead for the next 1,000 years.

Although the West eventually caught up, thanks in part because it began making ships that could sail to America (the Atlantic is much smaller than the Pacific) and because its constant wars helped develop military technology, even by the mid-18th century there was not much difference between East and West. As Mr Morris observes: “…although the hard ceiling had been pushed up a little, it remained as hard as ever.” The West may have caught up, but according to a new breed of political economists, such as Thomas Malthus, iron laws governing humanity, in particular the one that held that people always converted the extra wealth earned from rising productivity into more babies to consume it, would prevent either the West’s or the East’s social development score rising much further. Malthus, however, had not reckoned on the transformative power of steam to smash through the West’s hard ceiling.

Towards the end of his book, Mr Morris attempts to answer the question posed in the title. The West may still rule, but for how much longer? His conclusion is that although power, influence and commercial dynamism are shifting eastward at a relentless pace, the question itself may be wrong. If Eastern and Western social development scores continue rising at their current rates, Western “rule” will end early in the next century. But the rise in the index over the next 100 years, propelled by quantum leaps in computing power and bioscience, is so exponential that humankind itself will be profoundly changed, making distinctions between East and West seem weirdly anachronistic.

There is, on the other hand, a real possibility that we fail to negotiate even the next 50 years without triggering environmental catastrophe, global pandemics or nuclear war. In which case, both West and East will simultaneously crash into the hard ceiling of our own era. Mr Morris ends on an optimistic note. If we can put off “Nightfall” long enough, he says, the difference between the trials we face today and those that eventually did in the Song dynasty in China when it pressed against the hard ceiling 1,000 years ago, or the Roman empire 1,000 years before that, is that we are so much more able to understand and counter the forces that threaten us—if we have the wit and purpose to do so.

Mr Morris writes with clarity and vigour, if occasionally with a jaunty informality that becomes tiresome. That said, this is an important book—one that challenges, stimulates and entertains. Anyone who does not believe there are lessons to be learned from history should start here.

Why the West Rules—For Now: The Patterns of History and What They Reveal About the Future. By Ian Morris. Farrar, Straus and Giroux. Buy from Amazon.com ; Amazon.co.uk

J’ai acheté Le Désert des Tartares dans une broquante voila quelques semaines. Par la même occasion je me suis procuré Une breve histoire du Temps de Hawking, Dernières Nouvelles du Cosmos de Reeves et l’album Trios du guitariste Jazz Vietnamien, N Guyen Le (qui, soit dit en passant, est une vraie tuerie). Le tout pour 7 euros sans même devoir fournir l’effort de marchander un peu.

Ce fut une excellente transaction.

En ce qui concerne Le Désert des Tartares, c’est la première fois que je me retrouve aussi ému après avoir lu un livre où il se passe autant peu de choses. Je préfère pas spoiler, car meme s’il ne s’y passe rien au point de vue hollywoodien du terme, ce bouquin te flingue l’esprit de part l’illustration qu’il nous offre du temps qui passe.

Vivement conseillé pour tous les trentenaires du Mur qui se croient vieux 🙂

… Giovani Drogo, étendu sur le petit lit, hors du halo de la lampe à pétrole, fut, tandis qu’il songeait à sa vie, pris soudain par le sommeil. Et cependant, cette nuit-là justement – oh ! s’il l’avait su, peut-être n’eut-il pas eu envie de dormir – cette nuit-là, justement, commençait pour lui l’irréparable fuite du temps.

Jusqu’alors, il avait avancé avec l’insouciance de sa première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s’écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s’aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n’y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s’arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l’horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l’espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu’un jour on les atteindra.

Est-ce encore long ? Non, il suffit de traverser ce fleuve, là-bas, au fond, de franchir ces vertes collines. Ne serait-on pas, par hasard, déjà arrivé ? Ces arbres, ces prés, cette blanche maison ne sont-ils pas peut-être ce que nous cherchions ? Pendant quelques instants, on a l’impression que oui, et l’on voudrait s’y arrêter. Puis l’on entend dire que, plus loin, c’est encore mieux, et l’on se remet en route, sans angoisse.

De la sorte, on poursuit son chemin, plein d’espoir ; et les journées sont longues et tranquilles, le soleil resplendit haut dans le ciel et semble disparaître à regret quand vient le soir.

Mais, à un certain point, presque instinctivement, on se retourne et l’on voit qu’un portail s’est refermé derrière nous, barrant le chemin de retour. Alors, on sent que quelque chose est changé, le soleil ne semble plus immobile, il se déplace rapidement ; hélas ! on n’a pas le temps de le regarder que, déjà, il se précipite vers les confins de l’horizon, on s’aperçoit que les nuages ne sont plus immobiles dans les golfes azurés du ciel, mais qu’ils fuient, se chevauchant l’un l’autre, telle est leur hâte ; on comprend que le temps passe et qu’il faudra bien qu’un jour la route prenne fin.

A un certain moment, un lourd portail se ferme derrière nous, il se ferme et est verrouillé avec la rapidité de l’éclair, et l’on n’a pas le temps de revenir en arrière. Mais, à ce moment là, Giovanni Drogo dormait ignorant, et dans son sommeil, il souriait, comme le font les enfants.

Bien des jours passeront avant que Drogo ne comprenne ce qui est arrivé. Ce sera alors comme un réveil. Il regardera autour de lui, incrédule ; puis il entendra derrière lui un piétinement, il verra les gens, réveillés avant lui, qui courront inquiets et qui le dépasseront pour arriver avant lui. Il entendra les pulsations du temps scander avec précipitation la vie. Aux fenêtres, ce ne seront plus de riantes figures qui se pencherons, mais des visages immobiles et indifférents. Et s’il leur demande combien de route il reste encore à parcourir, on lui montrera bien encore d’un geste l’horizon, mais sans plus de bienveillance ni de gaieté. Cependant, il perdra de vue ses camarades, l’un demeuré en arrière, épuisé, un autre qui fuit en avant de lui et qui n’est plus maintenant qu’un point minuscule à l’horizon.

Passé ce fleuve, diront les gens, il y’a encore dix kilomètres à faire et tu seras arrivé. Au lieu de cela, la route ne s’achève jamais, les journées se font toujours plus courtes, les compagnons de voyage toujours plus rares, aux fenêtres se tiennent des personnages apathiques et pâles qui hochent la tête.

Jusqu’à ce que Drogo reste complètement seul et qu’à l’horizon apparaisse la ligne d’une mer démesurée, immobile, couleur de plomb. Désormais, il sera fatigué, les maisons le long de la route auront presque toutes leurs fenêtres fermées, et les rares personnes visibles lui répondront d’un geste désespéré : ce qui était bon était en arrière, très en arrière, et il est passé devant sans le savoir. Oh ! il est trop tard désormais pour revenir sur ses pas, derrière lui s’amplifie le grondement de la multitude qui le suit, poussée par la même illusion, mais encore invisible sur la route blanche et déserte.

A présent, Giovanni Drogo dort à l’intérieur de la troisième redoute. Il rêve et il sourit. Pour la dernière fois, viennent à lui, dans la nuit, les douces images d’un monde totalement heureux. Gare à lui s’il pouvait se voir lui-même, tel qu’il sera un jour, là où finit la route, arrêté sur la rive de la mer de plomb, sous un ciel gris et uniforme, et sans une maison, sans un arbre, sans un homme alentour, sans même un brin d’herbe, et tout cela depuis des temps immémoriaux.